HEPATITES ACTU : Vaccin contre l’hépatite B (La douloureuse question du bénéfice/risque)

Le vaccin contre l’hépatite B est au cœur d’un débat sur son bénéfice et ses risques depuis plus de 10 ans. Un débat qui va au-delà des frontières françaises puisque de multiples articles et études internationaux l’ont alimenté ces dernières années. Quels en sont l’histoire et le développement ?

La campagne a été lancée en juillet 1994. A l’époque, le ministre de la santé, Philippe Douste Blazy affirmait: « L’hépatite B constitue l’un des risques infectieux majeurs de cette fin de siècle ». Les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’hépatite B étaient effrayants. On estimait – des estimations toujours d’actualité – à deux milliards le nombre de personnes infectées et à 350 millions celles porteuses d’une hépatite B chronique. Les régions les plus touchées étaient et restent l’Asie et l’Afrique. La France est un pays de faible prévalence [lire les chiffres page 25]. Le ministre de la santé va cependant décider d’une campagne massive de vaccination contre l’hépatite B à l’intention des nourrissons, des préadolescents qui entrent au collège et des adolescents en général. La vaccination n’est pas obligatoire. Mais la forte campagne médiatique orchestrée par les deux laboratoires qui vendent le vaccin (GlaxoSmithKline avec l’Engerix B® et Sanofi Pasteur avec le Genhevac B®) va pousser les parents non seulement à vacciner leurs enfants, mais également à se vacciner eux-mêmes. Bientôt, les pharmacies se retrouvent régulièrement en rupture de stock tellement la demande est forte.

Signal ?

« Certaines personnes sont allées se faire vacciner alors qu’elles n’en avaient absolument pas besoin », reconnaît Michelle Sizorn de SOS Hépatites. « Les spots de l’époque donnaient l’impression que le virus allait vous sauter dessus au moindre contact », se souvient Dominique Costagliola, épidémiologiste à l’Inserm. Cinq ans après le début de la campagne, l’Etat estime entre 20,7 et 27,5 millions de personnes, le nombre de vaccinés dont 8,9 millions d’enfants. La campagne a largement dépassé les cibles initiales. Aucun autre pays au monde n’a connu une vaccination de la population adulte aussi importante dans une si courte période de temps. Une situation propice pour faire ressortir tout effet indésirable. Or, rapidement, des premières alertes visent le vaccin. Le service de neurologie du professeur Lyon-Caen à la Pitié Salpêtrière signale à l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) une augmentation du nombre de cas de sclérose en plaques (SEP), déclarées peu de temps après une vaccination contre l’hépatite B. L’agence lance alors une enquête. La première d’une longue série d’études. Il y en aura plus d’une dizaine, en France et à l’étranger, notamment en Angleterre et aux Etats-Unis. « Toutes les études cas/témoins réalisées montrent une élévation du risque de l’ordre de 1,5 à 2 voire 3 pour la toute dernière étude menée par le professeur Hernan (1) sur une base de données anglaise. Or, si ce risque n’existait pas, nous aurions obtenu quelque chose comme deux études positives, quatre études négatives, ou vice versa » analyse Marc Girard, spécialiste de pharmacovigilance et de pharmacoépidémiologie, ex-expert auprès de la Cour de Versailles qui travaille sur ce dossier depuis des années. Mais toutes ces études, rétorque l’Académie de médecine n’ont pas démontré, en dehors de celle de Hernan, « une relation statistiquement significative entre la SEP et la vaccination contre l’hépatite B ». Depuis plus de dix ans, la France oscille entre ces deux positions. Cependant, en 1998, par « principe de précaution », le ministre de la Santé de l’époque, Bernard Kouchner, suspend la campagne de vaccination dans les collèges. Les recommandations vaccinales officielles concernent dès lors tous les nourrissons avec un rattrapage temporaire jusqu’à 13 ans chez les adolescents non vaccinés et les populations dites à risque de contracter le virus (2).

Bruit de fond

Parallèlement aux signaux des services de neurologie, le journal L’Impatient, qui traite des médecines alternatives, reçoit à la rédaction, dès 1996, des témoignages de personnes qui auraient développé une sclérose en plaques, voire d’autres maladies neurologiques ou auto-immunes, quelques semaines ou mois après leur vaccination. La rédaction s’interroge, lance un appel à témoignage et reçoit plusieurs dizaines de lettres faisant état de problèmes suite au vaccin. Deux de ces témoins, Armelle Jeanpert et Philippe Jakobovicz, créent en février 1997 le réseau vaccin hépatite B (Revahb). Dominique le Houezec, pédiatre et conseiller médical du Revahb en explique la position : « Nous ne sommes pas du tout anti-vaccination puisque, par définition, toutes les personnes adhérentes au Revahb sont vaccinées. Je pense que ce vaccin contre l’hépatite B est efficace mais qu’il a des effets secondaires et qu’il faut le reconnaître. Heureusement, ces effets secondaires sont rares mais en vaccinant 30 millions de personnes, ils ne pouvaient qu’être multipliés ». Aujourd’hui, le Revhab cumule 2 800 signalements de personnes qui disent avoir déclenché une sclérose en plaque, une maladie auto-immune ou d’autres troubles neurologiques suite à ce vaccin. Tous ces signalements sont transmis à l’Afssaps qui conserve dans son registre de pharmacovigilance environ trois dossiers sur quatre. Lors de sa dernière commission de pharmacovigilance sur le thème, l’agence reportait : « un total de 1 364 cas d’affections démyélisantes centrales et 111 cas d’atteintes démyélisantes périphériques entre la mise sur le marché des vaccins contre le VHB et le 31 décembre 2005 ». Un « bruit de fond », selon le terme courant en pharmacovigilance, qui nécessite une attention particulière de l’agence mais qui, selon elle, ne remet pas en cause les recommandations vaccinales. « Les études présentées ne permettent pas de conclure à l’existence d’un risque, ni de l’exclure », répète invariablement l’agence.

Faire avec ?

« Les données sont difficiles à interpréter », reconnaît Dominique Costagliola. Il n’empêche, pour elle, le terme « statistiquement non significatif » est mal interprété. « L’important est de regarder la valeur du risque, s’il est au-delà de un, ce qui est le cas dans ces études, cela marque une augmentation du risque même si elle est potentiellement faible ».

Un risque qui n’est d’ailleurs pas écarté par les laboratoires puisque dès 1993, dans sa notice internationale, le laboratoire GlaxoSmithKline – qui commercialise l’Engerix B® – l’indique dans sa liste des effets secondaires rares. Il ne sera pas spécifié dans la notice française.

Le vaccin français, le Genhevac®, l’introduira quelques années plus tard en soulignant bien que la causalité n’a pas été démontrée.

« Je pense que nous allons rester dans cette situation », avance Dominique Costagliola. Pour elle, si le risque est effectivement autour de 1, 5-2, aucune nouvelle étude ne pourra ni le confirmer, ni l’invalider puisque la campagne massive qu’a connue la France est finie et qu’aucun autre pays n’a vacciné de la sorte. « Nous ne le saurons peut-être jamais avec certitude et il faut vivre avec. La balance bénéfice/risque du vaccin doit être évaluée à titre individuel. »

Mais comment concilier une approche individuelle avec des questions de santé publique? Pour Michelle Sizorn de SOS Hépatite le bénéfice ne fait aucun doute dans tous les cas: «Si l’on considère 800 000 enfants ou adolescents, en l’absence de vaccination les risques liés à l’hépatite sont de 3 hépatites fulminantes, 60 à 150 infections chroniques dont 12 à 13 feront un cancer primitif du foie. En cas de vaccination, les risques de SEP sont nuls pour le nourrisson, non démontrés pour le préadolescent et l’adolescent, et s’ils existent, dans le pire des hypothèses, une à deux SEP seraient observées ».

Dominique le Houézec du Revahb estime, lui, que la vaccination doit être ciblée, comme la France la pratiquait avant 1994. Car si dans un pays de forte prévalence, la question du bénéfice vaccinal ne se pose pas, elle semble justifiée en France où la prévalence est faible. Positions diverses et questions en suspens, il n’en demeure pas moins que le public mérite au moins une information claire et la plus objective possible pour lever les fausses rumeurs et permettre à chacun de prendre sa décision en toute connaissance de cause.

Marianne Langlet

(1) Hernán MA, Jick SS, Olek MJ, Jick H. Recombinant hepatitis B vaccine and the risk of multiple sclerosis. A prospective study. Neurology, 2004,63: 838-42.

(2) Nouveau-nés de mère porteuse de l’antigène HBs ; enfants accueillis dans les services et institutions pour l’enfance et la jeunesse handicapées ; enfants et adultes accueillis dans les institutions psychiatriques ; enfants d’âge préscolaire accueillis en collectivité ; personnes ayant des relations sexuelles avec des partenaires multiples ; toxicomanes utilisant des drogues parentérales ; voyageurs et personnes amenées à résider dans les pays de moyenne ou de forte endémie ; personnes qui, dans le cadre d’activités professionnelles ou bénévoles, sont susceptibles d’être en contact direct avec des patients et/ou d’être exposées au sang et autres produits biologiques ; patients susceptibles de recevoir des transfusions massives et/ou itératives (hémophiles, dialysés, insuffisants rénaux, candidats à une greffe d’organe…) ; entourage d’un sujet infecté par le virus de l’hépatite B ou porteur chronique de l’antigène HBs ; partenaires sexuels d’un sujet infecté par le virus de l’hépatite B ou porteur chronique de l’antigène HBs.

Entretien

« Nous ne sommes pas tous égaux face à ce virus »

Anne Gervais, hépatologue à l’hôpital Bichat de Paris

Comment s’attrape l’hépatite B?

Principalement par le sang, mais plus le virus est présent dans le sang, plus il l’est dans les autres liquides biologiques. Le virus se retrouve également dans le sperme, mais moins que dans le sang. Puis cela va décroître, mais vous en trouverez dans toutes les sécrétions biologiques : le lait maternel, les larmes, la salive lorsqu’il y a une très forte virémie.

La transmission est sexuelle et sanguine. Elle concerne donc également les usagers de drogue. Et enfin elle peut être intra-familiale, de la mère à l’enfant lors de l’accouchement et par le père s’il a une forte charge virale VHB parce que le virus est très résistant, beaucoup plus que celui du VIH ou du VHC. Il peut donc survivre dans des traces de sang sur une brosse à dents susceptible d’être utilisée par un autre membre de la famille, par exemple. Si l’enfant attrape l’hépatite B petit, il a beaucoup plus de risques qu’un adulte de développer une hépatite chronique. Sur 100 enfants qui rencontrent le virus dans leurs premières années de vie, 90 vont devenir porteur chronique. C’est une réalité dans les familles venues d’Asie ou d’Afrique, des zones de forte prévalence.

Lorsque vous rencontrez le virus à l’âge adulte, vous pouvez faire une hépatite fulminante et en mourir, mais heureusement c’est assez rare (voir les chiffres de l’INVS en encart). En dehors de ce risque, celui de passer à la chronicité est moindre pour l’adulte que pour l’enfant, cela ne concerne que 10 % des personnes qui entrent en contact avec le virus. A l’âge adulte, le corps reconnaît mieux la cellule infectée. Il va dans 90 % des cas la détruire, s’en débarrasser et avoir une immunité efficace.

Est-ce qu’il y a alors des symptômes?

Pas forcément, mais plus la personne fait des symptômes, plus elle se débarrasse du virus. Les symptômes sont, en raison d’une inflammation dans le foie, la jaunisse. Lorsque la personne passe à la chronicité, c’est que sa défense immunitaire n’a pas été assez efficace. A l’inverse, lorsque la réaction au virus est trop importante, le corps s’en débarrasse tellement bien qu’il peut détruire tout son foie: c’est les rares cas d’hépatite fulminante. Finalement, dans l’hépatite fulminante, les personnes meurent guéries. Leur réaction au virus a été trop forte.

Peux-t-on guérir d’une hépatite B?

Dans la grande majorité des cas adultes, lorsque la défense immunitaire fonctionne correctement sans aller trop loin, le corps se débarrasse du virus. Mais dans votre foie, il reste toujours des copies d’ADN. Ce virus peut donc, comme dans les cas des autres virus à ADN tel l’herpès ou la varicelle, se réactiver. C’est comme la varicelle qui peut donner des années plus tard un zona. Vous êtes donc considéré comme guéri de l’hépatite B mais si, au cours de votre vie, vous rencontrez une chimiothérapie pour un cancer ou si vous contractez le VIH, si vous êtes immunodéprimé, vous pouvez réactiver votre hépatite B. Dans ces situations, l’hépatite peut être grave.

Que devient un porteur chronique?

Tous ne vont pas forcément aller vers la cirrhose et le cancer du foie. Des cofacteurs peuvent là être en jeu, nous ne sommes pas tous égaux face à ce virus. On peut être porteur chronique toute sa vie et ne pas développer de cirrhose ou de cancer, voire même ne jamais s’apercevoir qu’on est infecté par l’hépatite B. Environ 30% des porteurs chroniques vont aller vers la cirrhose en 20 ou 30 ans, plus rapidement s’ils ont le VIH, plus rapidement s’ils boivent de l’alcool, plus s’ils ont d’autres virus de l’hépatite.

Dans ma pratique, je rencontre surtout des problèmes avec les personnes qui ont contracté le virus dans l’enfance. C’est ceux-là que je vois mourir: ils arrivent à vingt, trente ans, avec des cancers avancés. J’ai actuellement une situation qui m’a particulièrement touchée. Un jeune professionnel de santé camerounais de 28 ans vient à mon cours où je parle de l’hépatite B. Sensibilisé, il fait le dépistage et découvre qu’il a une hépatite B. Lorsque nous avons regardé son foie, il avait un cancer. Il porte ce virus depuis près de trente ans. Le vaccin aurait pu le protéger. C’est face à ce type de situation que la polémique autour du vaccin me révolte. Lorsque nous avions une maladie potentiellement mortelle comme la variole, nous ne nous posions pas la question, nous vaccinions même si le vaccin provoquait une encéphalite tous les 100 000 vaccins. Un enfant mourrait sur 100 000 vaccinés mais nous en sauvions beaucoup plus. L’hépatite B est un virus qui ne tue pas de façon si évidente, mais il tue quand même.

Le rapport bénéfice/risque penche à mon avis clairement du côté du bénéfice. Premièrement, nous sommes face à un virus qui n’a pour seul hôte que l’homme. Nous pourrions donc l’éradiquer de la planète. Il suffirait pour cela de vacciner une classe d’âge à la naissance et nous en serions débarrassés, comme nous l’avons été de la variole. Deuxièmement, c’est un virus très prévalent: nous avons deux milliards d’hommes qui ont été en contact avec ce virus. Sur ce chiffre, environ 400 millions sont des porteurs chroniques. Ce n’est pas rien, sauf que cela touche des pays comme l’Afrique, l’Asie, une partie de l’Amérique latine et nos pays ne se sentent pas trop concernés.

 

Combien de temps est-on protégé par ce vaccin?

Au début, nous pensions qu’il fallait revacciner régulièrement. Mais, en réalité, des études taiwanaises nous montrent qu’une fois que nous avons fait apparaître des anti-corps antiHBs après les trois injections du schéma vaccinal classique voire le schéma renforcé avec le rappel à un an, la protection semble suffisante. Les Taiwanais ont démontré qu’en vaccinant tous les enfants à la naissance, puis en regardant 10 ans plus tard leurs anti-corps, certains n’avaient plus d’anticorps antiHBs, l’anticorps protecteur. Or, lorsqu’on rencontre l’hépatite B, le corps fait des anti-corps antiHBc. Ces derniers marquent le contact avec le virus. Donc, en principe, si vous êtes vaccinés, vous n’avez pas d’anti-corps antiHBc, mais des anticorps antiHBs. Pourtant, dans l’étude, un petit nombre d’enfants montraient l’anticorps antiHBc lorsqu’on leur faisait une sérologie à dix ans. Ils avaient donc rencontré le virus sans développer d’hépatite chronique. Ils avaient bloqué le processus et créé des anti-corps. Cela signifie que même si vous n’avez pas de rappel de vaccin, vous avez des cellules de défense à mémoire qui vont pouvoir agir très vite si vous faites un début d’infection virale et stopper le virus. Malgré cela, en ce qui me concerne, par exemple, même si je suis vaccinée contre l’hépatite B, si j’avais un accident d’exposition au sang de personnes porteuses de l’hépatite B, je me ferais un rappel de vaccin pour être certaine de ne pas l’attraper.

Peut-on attraper l’hépatite B même si on est vacciné?

Il y a une petite part d’incertitude sur les patients qui ne répondent pas au vaccin. Il reste toujours 5% de non répondeurs. C’est-à-dire des personnes qui ne font pas les anticorps. Il n’est pas impossible qu’une partie de ces personnes puisse attraper la maladie.

Propos recueillis par M.L.

Prévalence en France de l’antigène HBs

Selon les données d’une enquête nationale menée en 2004 en France, la prévalence de l’antigène HBs – qui marque un porteur chronique de l’hépatite B – est de 0,65%, soit 280 821 personnes. Le nombre d’hépatite B fulminante, qui en l’absence de greffe du foie est mortelle, est de 12 cas en 2005 contre 20 en 1990. L’incidence de l’hépatite B aiguë symptomatique était estimée en 1996 entre 1200 et 7200 nouveaux cas par an. Depuis, la reprise de la déclaration obligatoire en 2003, ce nombre est passé à 200 cas par an, mais une autre source de données, les laboratoires de biologie médicale, fixe ce nombre à 628 cas en 2005. Une enquête nationale liée aux hépatites B et C, réalisée en 2004 – 2005 a permis d’estimer à 1 507 le nombre de décès liés au VHB avec un âge moyen au moment du décès de 65 ans. Les décès sont dans 93 % des cas au moins une cirrhose dont 35 % de carcinome hépatocellulaire sur cirrhose.

Source: INVS-BEH 51-52/25 décembre 2007