Quand débuter un traitement antirétroviral ?

Le traitement antirétroviral doit être débuté avant que le taux de CD4 ne soit trop abaissé, de manière à éviter les infections opportunistes et à préserver le devenir à long terme de la personne. De nombreux facteurs sont à prendre en compte pour décider du moment d’initiation du traitement. Idéalement, celui-ci se prépare à l’avance, et se discute sérieusement lorsque le taux de CD4 passe en-dessous de la barre des 500 CD4/mm3.

On sait, d’une part, que l’éradication du VIH n’est pas possible avec les moyens thérapeutiques actuellement disponibles et, d’autre part, que les interruptions de traitement antirétroviral sont délétères (voir plus loin). L’introduction d’un traitement antirétroviral implique donc sa poursuite pour une longue durée, non définie. Pour répondre à la question du moment le plus approprié pour débuter un traitement antirétroviral, il convient, par conséquent, de mettre en balance les bénéfices (diminution de la morbi-mortalité liée au VIH) et les inconvénients d’une exposition prolongée aux antirétroviraux, essentiellement les effets indésirables à long terme.

Si un rapport bénéfices/risques très favorable est démontré pour les patients avancés dans la maladie (Sida et lymphocytes CD4 < 350/mm3), plusieurs arguments nouveaux, issus d’études de cohorte et d’essais thérapeutiques, plaident en faveur d’une introduction plus rapide d’un premier traitement chez les patients symptomatiques, et plus précoce chez les patients asymptomatiques ayant des lymphocytes CD4 supérieurs à 350/mm3 (voir Encadré).

Chez les patients symptomatiques (infection opportuniste majeure, autre affection de la catégorie C de la classification CDC 1993 ou symptômes marqués ou récidivants de la catégorie B, incluant une néphropathie liée au VIH) et chez les sujets asymptomatiques ayant un nombre de lymphocytes CD4 inférieurs à 350/mm3

Plusieurs essais thérapeutiques ont démontré le bénéfice de l’introduction d’un traitement antirétroviral, tant en termes de survie que de réduction de la progression de la maladie chez les malades ayant un nombre de lymphocytes CD4 inférieur à 200/mm3 [5-6]. Même si ces patients ont un pronostic moins bon que ceux débutant un traitement avec un nombre de lymphocytes supérieur à 200/mm3 [7-8], la signification pronostique du nombre initial de lymphocytes CD4 s’efface devant celle du nombre de lymphocytes CD4 et de la charge virale plasmatique observés 6 mois après le début du traitement [9]. Cela souligne l’obligation d’efficacité immédiate du premier traitement chez ces patients, afin d’obtenir la meilleure restauration immunitaire possible dans les meilleurs délais. Cette exigence a d’ailleurs motivé un avis du Conseil national du Sida (CNS)(Avis sur les conditions de participation à des protocoles d’essai clinique de nouveaux traitements pour les patients infectés par le VIH et n’ayant jamais pris d’antirétroviraux », 17 mars 2005, CNS) qui recommande que les patients naïfs ayant des lymphocytes CD4 inférieurs à 200/mm3 ne participent pas aux essais cliniques de nouvelles classes de traitement avant que leur sécurité, leur efficacité et leur dose optimale n’aient été établies.

Par ailleurs, lorsque l’infection par le VIH est révélée par une infection opportuniste majeure autre que la tuberculose, particulièrement une pneumocystose ou une infection bactérienne, l’introduction du traitement antirétroviral doit être réalisée dans les 2 semaines après le début du traitement de l’infection opportuniste, ce qui permet de réduire de moitié le risque de décès ou de progression de l’infection par le VIH (ACTG A5164 Zolopa, CROI, 2008).
En revanche, le risque de survenue d’un syndrome de reconstitution immunitaire est possiblement plus important en cas d’introduction du traitement antirétroviral précocement après celle d’un traitement antituberculeux [10]. Des essais en cours explorent la question de la date optimale de l’introduction des antirétroviraux dans cette situation.

Il existe également un faisceau d’arguments en faveur de l’introduction d’un traitement antirétroviral chez les patients asymptomatiques ayant un nombre de lymphocytes CD4 compris entre 200 et 350/mm3. Dans la ART Cohort Collaboration, colligeant plus de 20 000 patients, le risque de survenue de Sida/décès à 5 ans est significativement plus faible chez les sujets ayant débuté un traitement entre 200 et 350/mm3 que chez ceux ayant débuté le traitement à 200/mm3 [11]. Il existe également une majoration du risque de survenue d’événements non classant Sida (cancers, accidents cardiovasculaires, néphropathie, atteinte hépatique) associée à la diminution du nombre de lymphocytes CD4 entre 350 et 200/mm3 [12]. Enfin, si la toxicité, notamment à long terme, des traitements antirétroviraux a pu justifier une position attentiste, on dispose à présent de traitements plus simples et mieux supportés tant à court qu’à moyen terme.

Chez les patients asymptomatiques ayant un nombre de lymphocytes CD4 compris entre 350 et 500/mm3

Sur la base de plusieurs études de cohortes, on considérait jusqu’à récemment qu’il n’y avait pas de bénéfice clinique (en termes de réduction de la fréquence de survenue d’événements Sida ou de décès) à commencer un traitement antirétroviral.

Cependant, des éléments nouveaux doivent faire reconsidérer cette position. Dans la cohorte HOPS, commencer (plutôt que différer) un traitement à un niveau de lymphocytes CD4 compris entre 350 et 500/mm3 était associé à une meilleure réponse virologiqueet à une réduction – non significative – de la mortalité [13]. Dans la cohorte du John Hopkins Hospital, le suivi à 6 ans montrait que les patients ayant commencé le traitement antirétroviral avec un nombre de lymphocytes CD4 supérieur à 350/mm3 évoluaient vers la normalisation des lymphocytes CD4 (médiane 829/mm3), alors que chez les patients ayant commencé leur traitement avec un nombre de CD4 compris entre 250 et 300/mm3, la remontée des CD4 tendait vers un plateau autour de 500/mm3 [14].

De plus, dans le suivi de cohorte des 1 397 patients inclus dans l’essai FIRST, l’incidence des événements Sida et non-Sida qui surviennent après l’instauration du traitement antirétroviral est d’autant plus faible que le nombre de CD4 à l’inclusion était plus élevée, y compris chez les patients ayant un nombre de CD4 supérieur à 350/mm3 [15].

Dans l’étude SMART, on a comparé l’évolution des patients qui ne recevaient pas de traitement antirétroviral à l’inclusion dans l’essai, selon le groupe de randomisation, « VS » (viral suppression, traitement continu) ou « DC » (drug conservation, traitement intermittent guidé par les CD4). Chez ces patients non traités à l’inclusion, être dans le bras VS revenait à recevoir un traitement immédiatement et être dans le bras DC à recevoir un traitement différé (jusqu’à la diminution des CD4 à moins de 250/mm3). Cette analyse, certes dans des sous-groupes constitués a posteriori, peut toutefois être considérée comme l’évaluation d’un substitut d’essai de type « ARV immédiat versus ARV différé » pour répondre à la question du moment optimal d’introduction d’un premier traitement antirétroviral. Quel que soit le critère de jugement utilisé (maladie opportuniste ou décès, maladie opportuniste grave avec ou sans décès, événement grave non-Sida, critères composites), les patients qui n’étaient pas sous traitement à l’inclusion dans SMART avaient une évolution clinique plus rapide s’ils n’en recevaient pas rapidement. Cela était vrai pour toutes les strates de lymphocytes CD4, y compris pour la strate de CD4 350-500 (il existe aussi une tendance dans ce sens pour la strate de CD4 > 500/mm3) [Emery S, IAS 2007, Abs. WEPEB018]. Ces résultats montrent que, même à un stade précoce de l’infection par le VIH, la morbidité et la mortalité de l’infection par le VIH sont probablement plus élevées qu’on ne le pensait jusque-là, même si l’excès de risque observé dans cette étude correspond à une incidence d’événements faible.

L’ensemble de ces données justifient que l’on puisse envisager l’initiation d’un traitement chez des patients ayant un nombre de lymphocytes CD4 compris entre 350 et 500 mm3, en particulier si la charge virale plasmatique est supérieure à 100 000 copies/ml ou le pourcentage de lymphocytes CD4 inférieur à 15 %, en tenant compte d’autres éléments tels que l’âge, les co-morbidités, la demande et la préparation du patient (voir plus loin).

Chez les patients asymptomatiques ayant un nombre de lymphocytes CD4 supérieur à 500/mm3

Il n’y a pas assez d’arguments en 2008 pour recommander l’instauration d’un traitement antirétroviral, même si des modèles de survie tendent à montrer un avantage à l’instauration précoce d’un traitement [16]. Un essai thérapeutique international doit débuter prochainement pour répondre à cette question (essai START). Il paraît cependant acceptable d’entendre et d’examiner la demande d’un patient qui souhaiterait débuter un traitement alors que son nombre de lymphocytes CD4 est supérieur à 500/mm3, notamment dans une optique de diminution du risque de transmission sexuelle du VIH.

Éléments individuels à prendre en compte dans la décision d’instauration d’un premier traitement antirétroviral chez les patients asymptomatiques ayant un nombre de lymphocytes CD4 supérieur à 350/mm3

Si le nombre de lymphocytes CD4 est le principal élément de décision, il convient de prendre en compte également les éléments suivants :

  • le pourcentage de lymphocytes CD4 : une valeur de moins de 15 % des lymphocytes totaux est considérée comme une situation à risque d’infection opportuniste dont il faut tenir compte, même si le nombre absolu des CD4 est supérieur à 200/mm3 [17]. La pente de décroissance des CD4 doit également être prise en compte ;
  • la charge virale plasmatique : la valeur pronostique de la charge virale à l’instauration d’un traitement est moins importante que celle des lymphocytes CD4 lorsqu’elle est inférieure à 100 000 copies/ml. En revanche, plusieurs études de cohortes ont montré qu’une charge virale élevée (en particulier > 100 000 copies/ml) est un facteur pronostique péjoratif, quel que soit le taux de lymphocytes CD4 [8, 18, 19] ;
  • l’âge du patient : le risque de progression est plus rapide chez les patients débutant le traitement après 50 ans [8] ;
  • une éventuelle co-infection virale (VHB, VHC) : le choix de l’ordre d’introduction respective du traitement de l’hépatite chronique et du VIH doit être discuté (voir Chapitre 14).

Deux points essentiels doivent être considérés. Chez les patients co-infectés par le VHC, la poursuite d’une réplication du VIH aggrave l’évolution des lésions hépatiques induites par le VHC, ce qui constitue un argument en faveur de l’introduction plus précoce du traitement antirétroviral. Lorsque le traitement VHC est indiqué (ou lorsque les deux traitements anti-VIH et anti-VHC sont indiqués), il est recommandé d’initier d’abord le traitement anti-VIH, en tenant compte pour le choix des antirétroviraux du futur traitement anti-VHC, et de débuter celui-ci après l’obtention d’une charge virale VIH indétectable.
Chez les patients co-infectés par le VHB, le premier traitement antirétroviral doit comporter deux agents actifs sur le VHB ([lamivudine ou emtricitabine] et ténofovir). L’initiation du traitement VIH est recommandée lorsqu’il y a une indication à traiter l’infection à VHB. Dans les situations où le traitement anti-VHB est débuté en l’absence de traitement anti-VIH concomitant, il convient de ne pas prescrire, pour le VHB, de traitement ayant une action anti-VIH ;

  • en cas de néphropathie liée au VIH (HIVAN), l’introduction d’un traitement antirétroviral permet d’améliorer significativement le pronostic de la maladie rénale. L’existence d’une HIVAN constitue donc une indication de traitement à part entière, indépendamment de toute autre considération [20];
  • la réduction du risque de transmission du VIH chez les patients sous traitement antirétroviral efficace pourrait constituer une justification en faveur de l’introduction de celui-ci [1] ;
  • chez les femmes, les perspectives de grossesse doivent être évoquées afin de discuter des risques et contraintes de suivi d’une grossesse selon qu’elle est débutée avant ou après la mise sous antirétroviraux et dans la perspective du choix d’un traitement minimisant les risques d’embryofoetotoxicité. Par ailleurs, même en l’absence d’indication immunologique formelle (CD4 > 350/mm3), il est nécessaire d’entreprendre un traitement à partir de la 26e semaine d’aménorrhée chez une femme enceinte infectée par le VIH, dans le but d’obtenir une charge virale indétectable au moment de l’accouchement pour minimiser le risque de transmission du VIH à l’enfant (voir Chapitre 8) ;
  • l’adhésion et la préparation du patient au traitement sont essentielles dans le succès thérapeutique[21]. Plusieurs études de cohortes ont mis en évidence que l’observance du premier traitement, évaluée soit directement, soit indirectement par la mesure de la charge virale ou des lymphocytes CD4 après 6 mois de traitement antirétroviral, constitue le meilleur facteur prédictif de succès thérapeutique prolongé, supplantant parfois la valeur prédictive des paramètres préthérapeutiques classiques [9, 22-24].

L’efficacité de consultations spécifiques d’éducation thérapeutique et d’aide à l’observance a été démontrée en termes de succès immunovirologique [25, 26]. Avant de débuter le traitement antirétroviral, l’information et l’éducation du patient sont indispensables pour optimiser l’adhésion à la stratégie thérapeutique envisagée.

Les principes du traitement antirétroviral doivent être expliqués au patient et il faut discuter avec lui les points suivants :
– si le traitement permet de transformer l’infection par le VIH en maladie chronique, celle-ci reste grave et potentiellement fatale en cas de traitement mal conduit ;
– le premier traitement est celui qui est associé aux meilleures chances de succès immunovirologique ;
– la complexité des traitements et la possibilité d’effets indésirables à court, moyen et long termes ;
– les enjeux de la qualité d’une bonne observance et les conséquences d’une mauvaise observance (résistance aux antirétroviraux, efficacité moindre des schémas thérapeutiques ultérieurs), en expliquant que le risque de sélection de virus résistants n’est pas le même selon que l’échappement par inobservance survient sous traitement avec INNTI (risque élevé) ou avec IP/r (risque plus faible si l’échappement est identifié et pris en charge rapidement) [27]. On a également montré que l’observance devait être bonne pour tous les médicaments de l’association et qu’une observance « sélective » augmente le risque de sélection de virus résistants [28].
Il paraît souhaitable, bien avant la date prévisible de début de traitement, de préparer le patient au traitement dans le cadre d’une démarche de soutien multidisciplinaire pouvant faire intervenir pharmaciens, infirmières, travailleurs sociaux, psychiatres, psychologues, médecins traitants, associations de patients et parfois l’entourage familial du patient.